Comment dénouer ses tensions
Tout un programme!...Mme Yvette Clouet, l'auteur de ces lignes enseigne le yoga à Marseille. En hommage à une grande dame dont les qualités de cœur n'ont d'égal que sa parfaite connaissance du corps humain. Bonne lecture !
COMMENT DENOUER SES TENSIONS ?
Bien comprendre ses tensions pour mieux s’en libérer •
Pourquoi faut-il ressentir les tensions pour les dénouer ? •
Que veut dire « s’ouvrir » à l’étirement, à la pression de la balle ? •
Pourquoi est-ce nécessaire pour se détendre ? •
Pourquoi utiliser un vocabulaire imagé et faire des actions imaginaires ?
Le muscle n’est pas une pâte qui s’allonge quand on l’étire. Le muscle contracté s’allonge parce qu’il se détend. Sa contracture et sa détente sont commandées par des centres nerveux. Nos tensions et donc ces centres nerveux sont involontaires. En effet, une tension étant désagréable, si elle était à commande volontaire, nous la détendrions dès son apparition et nous n’aurions jamais de tensions. Nos exercices sont donc un dialogue avec ces centres nerveux involontaires, grâce à un interprète : la fibre tonique. Je ne traite pas ici du coeur, ni des muscles des viscères, ni de la composante conjonctive des muscles (enveloppe, cloisonnement, attelage des fibres contractiles).
La fibre tonique
Pour un bon dialogue avec les centres nerveux, il est utile de savoir que nos muscles sont composés de 2 sortes de fibres contractiles (en simplifiant) :
– les fibres volontaires, que nous commandons à volonté,
– les fibres toniques, qui sont :
• inaccessibles à notre volonté,
• chargées du maintien postural, car
• infatigables si on respire bien,
• chargées aussi d’incarner notre état émotionnel.
Les fibres toniques sont placées sous le double commandement
• de l’inconscient moteur (la partie inconsciente et involontaire du système nerveux qui organise mouvements et maintien),
• de l’inconscient affectif (la partie inconsciente et involontaire du système nerveux qui décide de notre état émotionnel). (Parmi mes lecteurs, je prie les professionnels de bien vouloir avoir assez d’indulgence pour me pardonner de tels raccourcis). Voici un exemple : le dos Les fibres toniques équipent en abondance notre colonne vertébrale afin de l’ériger en nous procurant une plaisante sensation de souplesse et de légèreté la journée entière. Si nous ne ressentons pas ce bien-être, c’est peut-être que nous avons perdu la bonne coordination entre les fibres volontaires et toniques. Nous avons tout ce qu’il faut en nous pour la retrouver.
Qu’est-ce qu’une tension ?
Une tension est la contraction excessive en intensité ou en durée de fibres musculaires. Mais, qu’est-ce qu’un excès ? L’excès s’apprécie par comparaison avec une contraction appropriée. La contraction est appropriée quand, dans l’action (on soulève une charge, on marche, on court, etc.) les muscles « répondent », c’est-à-dire se contractent avec l’intensité et le rythme que l’on en attend. On se sent alors puissant, avec des gestes précis. La tâche achevée, on apprécie que ces mêmes muscles se décontractent : on se détend agréablement. Quand on se sent en forme, c’est que, de cette façon, à chaque instant, chacune de nos fibres musculaires s’ajuste à sa fonction dans le grand orchestre corporel. La contraction est inappropriée quand nos muscles ne répondent pas à nos attentes. Certains se contractent insuffisamment : on a les jambes molles, « les bras nous en tombent », on ne se sent pas « le coeur à l’ouvrage », tandis que d’autres muscles se contractent malgré notre vouloir, par exemple ceux de la mâchoire. C’est à ces occasions que l’on prend conscience qu’il y a de l’involontaire dans la commande musculaire.
La fibre tonique est infatigable
Elle a pour fonction d’assurer :
• le maintien postural dans la vie quotidienne. Cette organisation nous libère l’esprit, nous n’avons pas à y penser, nous n’avons que nos gestes à diriger.
• la respiration afin qu’elle se fasse sans qu’on ait à y penser, nuit et jour.
La fibre volontaire est plus blanche, la fibre tonique est plus rouge. On le voit dans l’assiette : la cuisse de poulet est plus rouge que le blanc de poulet (muscles des ailes). Pourquoi ? parce que, à l’état naturel, la poule dort perchée dans les arbres. Il lui faut donc se tenir avec les fibres toniques de ses cuisses, tandis que voler est un acte conscient et volontaire (fibres blanches). Chacun de nos muscles est composé de ces 2 sortes de fibres dans une proportion variable, selon sa fonction.
Pourquoi la fibre tonique est-elle plus rouge ?
Sa couleur lui est donnée par les nombreux capillaires sanguins qui l’entourent. C’est leur présence qui rend la fibre tonique infatiguable, à condition que nous respirions suffisamment. En effet, cela lui permet d’être alimentée en oxygène au fur et à mesure de ses besoins. C’est ce que l’on appelle la contraction musculaire aérobique. C’est la contraction de l’endurance. Elle donne aux fibres toniques la capacité de maintenir sans fatigue postures et respiration la journée entière. Si l’oxygène leur vient à manquer, le relais est passé aux fibres blanches car ces dernières peuvent travailler sans oxygène (contraction anaérobique), mais seulement pendant une durée limitée au delà de laquelle l’acide lactique apparaît dans le muscle, ce dont nous informe la douleur musculaire. Si l’alimentation en oxygène est suffisante et parce que la fibre tonique est commandée par l’inconscient, nous n’avons pas la perception du travail qu’elle accomplit (dans les limites d’un travail normal) : le corps paraît léger. C’est un des objectifs de nos exercices. Mais comment commander l’involontaire ?
Commander l'involontaire
« On ne commande à la nature qu’en lui obéissant » [Roger Bacon].
Comment faire réagir spécifiquement les fibres toniques dans les exercices corporels ? En nous plaçant dans des conditions précises, grâce à des techniques qui ont été élaborées au long des siècles ou plus récemment par des expérimentateurs orientaux ou occidentaux.
Ces conditions sont :
1. la durée de l’étirement ou de la contraction musculaire, puisque la fibre tonique est la fibre du maintien et de l’action durable.
2. l’abondance d’oxygène Ces deux conditions sont présentent dans la pratique du yoga que l’on peut définir ainsi : enchaînement de postures où l’on demeure, accompagnées d’une respiration profonde.
3. mise en jeu d’un réflexe
Parmi les réflexes, l’un d’entre eux déclenche une réponse musculaire de détente. Il requiert des conditions spécifiques : une certaine intensité d’étirement mise en place sans à-coup, sinon la réponse réflexe sera, au contraire, une contraction. C’est pour se placer dans ces conditions que nous mettons en place de façon progressive et dosée les étirements et l’appui de la balle. Nous savons que nous les avons trouvées quand, en tâtonnant, par l’essai de différentes intensités d’étirement, de différentes consistances de balles, oh, joie ! nous sentons dans le muscle la détente sourdre puis se répandre.
4. L'imaginaire ressenti
Voici 3 exemples d’exercices :
• détendre le trapèze supérieur en imaginant qu’une douche chaude coule sur la nuque et sur les épaules : ainsi on crée en imagination la sensation que l’on appelle de ses voeux pour qu’elle advienne. Si les épaules se détendent, c’est qu’on a réussi à obtenir une réponse favorable des instances qui commandent les fibres toniques, par le détour et par la force de l’imagination.
• tenir les bras levés en imaginant un prolongement qui s’étend au delà du bout des doigts. Si « ça marche », on constate que cela permet de garder les bras levés sans fatigue plus longtemps que sans ce prolongement imaginaire. Pourquoi ? Parce que de cette façon, l'efficacité des fibres toniques s'ajoute à celle des fibres volontaires.
• mettre la tête en mouvement en imaginant que l’on peint ou dessine avec un prolongement qui part de l’oreille et s’étend jusqu’à une surface imaginaire. Cet exercice a fait disparaître bien des douleurs du cou. Comment ? D’une part, par le plaisir du jeu et de la créativité détendue (car on l’exerce sans risque, personne ne voit l’oeuvre), d’autre part parce que l’inconscient moteur connaît mieux que la commande volontaire chaque facette des articulations vertébrales et les fait ainsi glisser plus harmonieusement les unes sur les autres.
5. Le repoussé
C’est-à-dire ajouter une pression supplémentaire à la pression naturellement exercée par le poids du corps sur la surface d’appui. Par exemple :
• assis, repousser le siège avec les ischions,
• debout ou en marchant, repousser le sol avec les pieds. On expérimente comment en exerçant le repoussé avec des zones différentes des ischions ou de la surface plantaire, en en faisant varier les intensités et les directions, on obtient une modification de l’ensemble de la posture ou de la démarche. Par quelles voies ? Repousser, c’est augmenter l’appui reçu par des zones cutanées riches en capteurs de pression. C’est donc, par le truchement de ces capteurs, informer avec insistance l’inconscient moteur de notre posture, de notre mouvement afin qu’il participe à l’action en cours en lui conférant ses qualités propres : la sensation de naturel (par sa connaissance fine de la motricité), la force et l’endurance (grâce au renfort des fibres toniques). Avec le repoussé, la démarche est souple et élastique, pentes et escaliers se montent avec aisance. Le repoussé est une technique qui aide à découvrir comment s’installer dans l’enracinement. Dans cette quête, en tâtonnant, à l’écoute de la réponse musculaire, on cherche le juste équilibre, entre :
• suffisamment se laisser peser (accepter d’être porté, relâchement de fibres volontaires) et
• suffisamment repousser (mise en jeu de fibres toniques), afin de se tenir, afin de se mouvoir avec une distribution tonique sans cesse en adaptation, en accord avec la situation vécue.
Origine de ces techniques
La notion d’enracinement que l’on désigne aussi par « contact avec le sol » et « se mettre dans son hara » (« hara » voulant dire ventre en japonais) provient de Chine soit directement, soit en passant par le Japon, par les arts martiaux et le za-zen. C’est avec des collaborateurs de K.G. Durkheim et dans des cours d’arts martiaux que j’en ai fait l’expérience. C’est en stage et cours d’eutonie de Madame Gerda Alexander et de professeurs formés à cette technique qu’il m’a été proposé d’expérimenter le repoussé et les exercices de contact (balle) et de dessins conduits par l’imaginaire. Ce sont de magnifiques, de géniaux moyens pédagogiques. J’ai ici l’occasion d’exprimer ma profonde reconnaissance pour cet homme et pour cette femme exceptionnels et subtils et pour les nombreux professeurs dont j’ai reçu l’enseignement. la fibre tonique porteuse d’émotion En plus de ses fonctions motrices et de maintien, la fibre tonique contribue à la mise en place du versant corporel de l’émotion. C’est pourquoi elle est aussi placée sous le commandement de l’inconscient affectif. Nous savons que, à chaque instant, ce dernier choisit un état émotionnel, notre humeur, celle qui lui semble être le plus en rapport avec la situation vécue, telle qu’il l’évalue, selon les critères qu’il a précédemment établis. Ensuite, avec une étonnante rapidité, il en dirige la mise en place corporelle, en particulier en modifiant à sa façon le niveau de contraction de chacune des fibres toniques. Les fibres toniques nous font ressentir, nous font vivre corporellement nos émotions. Comment s’adresser à l’inconscient affectif ? Durant nos séances, nous cherchons à nous installer et à nous maintenir dans une attitude intérieure (c’est-à-dire une façon d’accueillir les événements internes et externes qui se manifestent par un état émotionnel). C’est notre façon d’introduire un élément nouveau dans le dossier qu’étudie l’inconscient affectif. Pour cette instance, tout point de vue apporté par la conscience n’est qu’un avis consultatif. Il produira des effets si l’inconscient affectif estime devoir le prendre en compte dans le contexte du moment. Pour parvenir jusqu’à lui, cette attitude intérieure ne doit pas seulement être pensée. La voie d’acheminement passe par le corps. Il nous faut la mettre en place physiquement en essayant de nous détendre dans les muscles des yeux, de la mâchoire, de la gorge, par exemple. Ce dialogue avec l’inconscient collectif est intime. C’est pourquoi dans l’animation des cours cette disposition intérieure n’est que proposée, avec discrétion, avec un ton de voix naturel, éloigné du ton de voix de la suggestion et au moyen d’un vocabulaire attentif à être neutre, universel, afin que chaque participant puisse le faire sien, afin qu’il se sente libre de le traduire en son propre langage selon ses appartenances et non appartenances religieuses et philosophiques. Sont employés des mots tels que : « accueillir », « s’ouvrir », « confiance », « sourire intérieur », « lâcher-prise ».
Le lâcher-prise, qui peut s’entendre ainsi :
Agir moins avec les fibres volontaires
Agir plus avec les fibres toniques.