Qu'est ce que le qi gong?
LE QI GONG ________________________________________
Le Qi Gong est une pratique qui mobilise le corps, les sens et l’esprit. Les termes peuvent se traduire de diverses manières s’éclairant mutuellement. « Gong » signifie « travail » dans le sens d’une œuvre à accomplir. « Qi » désigne, à la fois, le « souffle », l’ « énergie » et la « vitalité ».
Le Qi Gong trouve son origine dans les antiques voies psychocorporelles de la Chine. Son origine est fort ancienne, probablement préhistorique, bien que l’écriture soit apparue très tôt dans l’empire du milieu. Certains écrits, ainsi que des fresques funéraires, attestent de sa présence il y a 25 siècles. On peut raisonnablement avancer que c’est dans un terreau chamanique que se fonde la genèse du Qi Gong. Ces pratiques seront remaniées, influencées, refondues dans les creusets successifs de la vision Taoïste, Confucéenne, Bouddhiste, et plus récemment de la pensée moderne et médicale. (Pour l’anecdote, il existe même des courants musulmans et chrétiens !).
Il est assez complexe de parler des objectifs du Qi Gong traditionnel. D’une part car ce dernier se décline en de multiples écoles aux tendances, elles-mêmes, diverses. On peut citer les Qi Gong populaires et familiaux, les Qi Gong énergétiques et « yoguiques », les Qi Gong philosophiques et ritualistes (reliés à des corpus de textes classiques), les Qi Gong mystiques (probable origine du Zen japonais, via le Chan lui-même imprégné de pensée Bouddhiste)… D’autre part parce que la compréhension des intentions de ces pratiques nécessite une « décentration participante » chère aux ethnologues, sous peine d’être victime de reconstructions mentales quelque peu aberrantes (un « cargo culte » inversé, en somme ! voir cette vidéo pour comprendre ce qu'est le "cargo culte": https://vimeo.com/120816425 ). Il est plus simple et plus profitable, dans le cadre de cet article, de parler des principes inhérents aux Qi gong contemporains de tendance médicale et/ou visant au bien-être, au développement personnel. Le Qi Gong actuel, quoique lui aussi faisant flores de tendances multiples, s’articule autour de trois grands principes communs : la recherche d’une action cinétique économique et juste ; la mise en jeu d’une unité respiratoire et psychophysiologique du geste ; l’harmonie des rythmes, des proportions et des intentions dans l’exécution des formes et des enchaînements.
Le ressenti est la pierre angulaire des Qi Gong, anciens ou contemporains. On pourrait presque dire que la plupart des exercices commencent par être une opportunité à la convocation des sens. C’est une des raisons pour lesquelles la lenteur gestuelle est souvent présente dans les Qi gong pour néophytes. Parfois les Qi Gong proposent une véritable feuille de route, une cartographie préétablie du ressenti, parfois ils invitent à une écoute neutre de ce qui fait écho, dans le corps, aux exercices proposés. La recherche d’une aisance est primordiale dans la majorité des Qi Gong actuels. Toute contrainte désagréable prédispose mal la qualité de l’écoute. Les mots de plaisir, d’harmonie, de fluidité et de détente reviennent fréquemment. Une séance de Qi Gong doit paradoxalement donner l’impression d’une détente absente d’engourdissement liée à une sensation tonique d’où est exclue toute excitation. Elle devrait générer un état de présence et d’abandon à la fois. Bien sur, tout dépend de la conduite de la séance, de son intention pédagogique, ainsi que de la nature des participants et de leur niveau d’intégration.
Le principe de base du Qi Gong classique est la mise en phase progressive avec les lois harmonieuses sous-jacentes au fonctionnement du réel telles que les taoïstes les concevaient par analyse, observation, introspection, réalisation intérieure… et transmission de maître à disciple. Pour le corps du pratiquant, le bénéfice premier est donc une aisance vigilante. Les mouvements trouvent le chemin de la justesse, de l’économie et de la coordination à travers des exercices à la fois plein de cohérence et de poésie. La respiration s’unifie harmonieusement au geste, le geste aux intentions, les intentions aux sensations. Les circulations du corps sont régulées, les tissus mieux drainés, nourris, oxygénés. Le corps comprend mieux l’espace, les rythmes, le rapport au sol. Des exercices avec partenaire abordent les notions de temps, d’écoute. Les sens, constamment sollicités, sont peu à peu réinvestis. La pratique en plein air est un appel constant à qualifier la sensorialité grâce à une approche consciente des couleurs, des sons, des textures et des odeurs. Ce n’est pas pour rien que Qi Gong et Zen sont cousins par leur origine. Enfin, si l’enseignant le transmet avec délicatesse et prudence, le Qi Gong peut aussi être l’occasion de faire une plongée anthropologique dans la culture de la Chine ancienne.
Les bénéfices, pour les artistes, de la pratique du Qi Gong sont multiples. Ils sont, bien sûr, variables selon les méthodes et pédagogies employées, l’orientation et la sensibilité de l’enseignant et… l’implication de l’élève. Si un des principes du Qi Gong (repris par Jigoro Kano le fondateur du Judo !) est « minimum d’effort en vue d’un résultat maximum », « pas d’effort, effet nul » en est aussi une certitude. Ceci posé, voici quelques pistes de progression que peut retirer l’artiste d’une pratique intelligente et régulière du Qi Gong : Contrôle tonique. Justesse cinétique. Economie du geste. Equilibres posturaux. Coordinations élémentaires. Relâchement musculaire global ou ciblé. Etirements myofasciaux. Levée des restrictions au geste respiratoire. Qualification sensorielle. Développement et objectivation de la sensation du corps. Maîtrise croissante de la relation au temps et à l’espace dans les mouvements. La liste n’est bien sur pas limitative. On peut ajouter que le Qi Gong propose une approche ludique de la dimension corporelle et un langage métaphorique (support traditionnel à l’intégration des exercices…du moins quand il ne verse pas dans le « mystico gélatineux » de mauvais aloi !) assez plaisant pour la sensibilité de bien des artistes
Le Qi Gong peut se pratiquer à tout âge, si l’on fait exception de quelques courants bien particuliers : Les tendances « chorégraphiques » récentes en recherche de prouesses posturales exotiques, pâles imitations de Yoga sans en posséder la science et la prudence. Les Qi Gong d’inspirations martiales, souvent conservés à l’intérieur d’écoles de même nom, qui nécessitent une condition physique préalable ainsi qu’un accompagnement spécifique. En fait, si l’on peut marcher, on est capable de pratiquer le Qi Gong. En Chine, certaines tendances sont même utilisées en gériatrie, avec quelques aménagements. Il est également possible de s’exercer assis, à genoux, couché. Toutes les postures et les mouvements de base de la vie quotidienne sont revisités par un cycle de séances de Qi Gong. Par contre, et par expérience, le Qi Gong reste d’un intérêt limité pour les enfants. Le préalable de capacités (et d’envies !) d’intériorisation et de centration minimales est rarement leur tasse de thé… Il serait, d’ailleurs, intéressant de développer des façons de faire plus en rapport avec le jeune âge. Certains enseignants s’y emploient actuellement en France. En Chine, les enfants pratiquent plutôt les différentes formes de Kung Fu Wu Shu, éventuellement de Tai Ji Quan et ce de manière, jusqu’à très récemment, plaisante et raisonnable.
Toute pratique exige régularité et implication afin de donner des fruits. Le Qi Gong ne fait pas exception à la règle. On peut faire un cours isolément et par plaisir, ce n’est pas interdit, mais obtenir un résultat demande plus qu’une simple visite de courtoisie. Une séance hebdomadaire nous semble un minimum, à condition qu’elle soit accompagnée par un travail personnel quasi quotidien. Il suffit parfois de quelques minutes dans une journée pour valoriser durablement le travail dirigé d’une séance en club ou atelier. De temps en temps, il peut se révéler profitable d’expérimenter un temps d’étude plus long (stage ou autre formule). Certains enchaînements, plus complexes, exigent une charge horaire plus importante. De plus, l’approfondissement de certains exercices nécessite une préparation psycho- physique lente et continue dépassant le cadre temporel habituel. Enfin, il est parfois profitable et agréable de pratiquer en pleine nature, hors du contexte urbain. Tout un courant du Qi Gong « utilise » cette dernière comme support, véhicule et prétexte à exercices sensoriels, relationnels et intentionnels, voire poétiques !
Difficile de parler de Qi Gong sans évoquer le domaine de la santé… et se rendre compte illico qu’il est difficile d’en parler ! Le Qi Gong est-il thérapeutique ? En ce cas que soigne-t-il ? Comment soigne-t-il ? Répondre à ces questions déborderait du cadre et des objectifs de ce court état des lieux. Quelques pistes de réflexion, tout de même : La grande majorité des Qi Gong, en France, se présente comme des pratiques de santé, et non comme des actes de soins. Cela évite d’avoir des ennuis avec les différentes instances encadrant le geste médical dans notre pays. Un enseignant n’est pas un thérapeute. Il lui en manque la formation, le diplôme et, normalement, l’intention et la vocation. Le bon sens rejoignant ainsi la législation voudrait que l’éducateur éduque et que le soignant soigne ! Un certain nombre d’études (dont la validité demanderait à être passée au crible, comme devrait l’être tout compte rendu d’expérience !) prétendent avoir établi un lien entre Qi Gong et amélioration, voire guérison, de certaines affections. Face à ces suppositions et affirmations, il convient d’être à la fois critique et ouvert. Un grand nombre de sites, de revues et de livres traitent de ce sujet en donnant une liste plus ou moins longue de maladies traitées ou améliorées par le Qi Gong. Pour le pratiquant, l’essentiel reste encore de ressentir un mieux-être durable suivant l’adage suivant : « Mieux vaut être empiriquement mieux que rationnellement plus mal ! ». Si le professeur de Qi Gong ne devrait pas se présenter en tant que thérapeute, il n’en reste pas moins que l’action ou l’interaction du même nom existe de manière assez imprévisible et ce, même en dehors de toute intention de soins. Dans le cas d’une pratique interactive, il s’agit donc d’un paramètre bien réel, bien que difficile à quantifier et à prévoir. Le rapport enseignant/enseigné est une de ces ruptures de niveaux capables de générer bien des effets surprenants au sein d’une pratique, sans que le « Qi » ait besoin d’être évoqué systématiquement. A moins que le terme de Qi englobe aussi ces circulations de désirs entre rôles, statuts, fonctions et autres projections et transferts ? Paradoxalement, le Qi Gong classique ne se présente pas comme une pratique médicale au sens commun. Cette discipline visait plutôt à réintégrer la personne dans un univers de lois, de sens, de mythes vécus, la resituant ainsi dans un espace et un temps sacré, celui des origines. Dans toutes les sociétés traditionnelles, la vertu thérapeutique par excellence est contenu dans l’évocation orale, imitative, théâtrale, corporelle de l’instant (atemporel) du surgissement des formes, des énergies différenciées ou, plus métaphysiquement, de l’ « être » (plus philosophiquement de l’« étant », plus théologiquement de l’« Etre » !) Bref, le Qi Gong classique, comme le Yoga (voir Mircéa Eliade qui, malgré ses errements politiques fascisants, n’en reste pas moins un historien des religions à la pensée fertile ayant profondément marqué l’anthropologie) se souciait moins de guérir que de replonger dans ce qui, pour lui, était la source de la vertu (dans le sens d’efficacité), de l’équilibre, de l’harmonie, du sens et donc d’une certaine « vitalité/santé/plénitude/vacuité ». Nous citons, en illustration, le chercheur Coréen Kim Minh Ho (enseignant à l’université de Séoul, mais formé à la fac d’ethnologie de Bordeaux !) : « Nous remarquons que le processus de ces mouvements est similaire à un processus cosmogonique. Un pratiquant qui n’a pas commencé l’exécution d’un exercice ou enchaînement est assimilé à l’état de chaos originel. Pour qu’il soit prêt à cette pratique, il effectue des gestes analogues à la création atemporelle de l’univers. Dans ce sens, il révèle les étapes de mobilisation du « Qi », à travers sa propre personne, telles qu’elles ont préludé à la genèse des formes innombrables dans le temps et l’espace profane ». Evidemment, cette façon de voir les choses est assez différente de notre conception moderne et occidentale du Qi Gong. De la part d’une pratique fort ancienne et fort lointaine, l’étonnant serait qu’il en soit autrement ! Les Qi Gong médicaux associant un diagnostic, une pathologie correspondante et un traitement spécifique peuvent avoir leur valeur, mais sont de facture récente (années 1970...). Ils sont nés sous l’influence à la fois de la culture scientifique occidentale et de la restructuration chinoise moderne des théories en acupuncture à la fin de la révolution cuturelle. N’en déplaise aux Instituts de MTC (médecine traditionnelle chinoise), le Qi Gong ne se résume pas à une de leurs vagues options corporéistes enseignées au lance pierre, à droite au fond du couloir…
Le Qi Gong se pratique, avant tout. Ce n’est pas une discipline spéculative, mais opérative. Ceci étant posé, il y a des temps où elle se parle et s’explique. Le Qi Gong se montre, s’explique… et s’illustre. Cela peut se faire par images, métaphores, poésies, anecdotes ou textes classiques. La culture étant, là aussi, toujours au service de la pratique et surtout de la progression de l’élève au sein de celle-ci. Le Qi Gong se marie mal avec la prétention, l’arrogance, le credo et le prosélytisme de tout poil. Il naît et traverse une culture Taoïste qui se soucie assez peu de formalisme Confucéen (je n’ai pas dit Confucianiste !). Commencer par un discours sur la levée des restrictions et des blocages et continuer par « en rang et je ne veux voir qu’une seule tête » reste suspect. Se méfier des discours intolérants et restrictifs. Les pratiques taoïstes, si elles émergent et renvoient constamment aux mêmes principes, ont eu l’art de se décliner en de multiples floraisons. Le Qi Gong fait sien la phrase suivante : « l’équilibre c’est avant tout pas de défaut et pas d’excès en évitant les excès de défauts et les défauts d’excès. ». Attention donc aux mouvements hystériques et aux postures obsessionnelles, aux exercices trop rapides et mal maîtrisés, aux enchaînements trop lents et trop contrôlés. Le Qi Gong est issu d’une conception (réalisation ?) où le mouvement et l’« être » s’entremêlent à l’instar du Yin/Yang dont ils sont des avatars. Dans la personne l’« être » se reflète dans la conscience, le mouvement s’exprime par le flux. Toute pratique centrée sur l’immobilité et/ou sans référence à la présence irradiante de soi à soi et de soi aux sens, risque d’être tout autre chose que ce dont nous parlons. Enfin, à travers la rigueur de l’exercice et le rappel constant à la conscience, ce qui est visé est très étrangement la spontanéité naturelle du mouvement, du souffle, dans un jeu entre les formes et les « énergies ». Cet élan est d’ailleurs partagé par bien des disciplines d’inspiration Taoïste, l’une des plus connues étant le fameux Tai Ji Quan ! Quelque part le Qi Gong nous amène à réaliser que la créativité est issue d’un travail englobant bien des aspects de notre personne, et que pourtant, seul, ce dernier ne peut être garant du résultat final. « L’énergie prend fin lorsque la forme naît, sauf si celle-ci est animée d’un mouvement » « Ce qui est fixé meurt, ce qui ne l’est pas se dilue ».
Rédacteur : Borderie Thierry. Professeur d’enseignement artistique au conservatoire de Bordeaux. En charge des pratiques corporelles et martiales.