Guérir de la souffrance
Guérir de la souffrance
Est-ce que la souffrance a un prix ?
Sans doute, puisque une des 4 versions du célèbre tableau d’E. Munch, le Cri, peint en 1895, s’est vendu en 2012 cent vingt millions de dollars, battant ainsi Picasso au hit parade des tableaux les plus chers du monde !
On appelle ça des icônes de l'art. Des tableaux qui dépassent les frontières, les époques et les goûts pour incarner des images qui s'inscrivent pour toujours dans la mémoire collective. Dans l'art ancien, le champion toutes catégories, c'est évidemment la Joconde. protégée derrière son épaisse couche de verre au Louvre, la dame de la Renaissance. Armée de son mystérieux sourire, elle incarne aujourd'hui, pour le grand public, davantage une image qu'une peinture.
Mais il faut désormais compter avec une autre icône qui envahit les tee-shirts et les mugs de toute la planète : c'est la peinture du Cri du norvégien Edvard Munch.
Car, pour que les médias du monde entier parlent d'une œuvre d'art, il faut qu'elle remplisse au moins une des deux conditions suivantes : soit atteindre une somme astronomique, soit avoir été volée.
Hors, de mémoire d'homme, il n'existe qu'une seule œuvre qui cumule ces deux conditions: c'est Le cri de Munch.
L'artiste norvégien l'a exécutée en quatre exemplaires et deux ont été volés dans des musées de son pays en 1994, puis en 2004, et par la suite retrouvés.
Qu’est ce qui fait la force brutale de cette œuvre ? Sans doute son immobilité parfaite. Au-delà du talent de l’artiste, le fait d’avoir ainsi figé sur la toile un simple cri, un cri qui n’a plus ni début, ni fin, nous donne à voir la souffrance à l’état brut. C’est comme si cette absence absolu de mouvement, cette bouche grande ouverte de laquelle aucun son ne sort, nous renvoyait à l’indicible, à l’horreur absolue.
Ainsi, après Hiroshima, a-t-on pu voir, sur les murs, sur les trottoirs blanchis par la chaleur intense de la bombe, l’ombre des passants dessinée sur le sol. C’était tout ce qui restait de leur présence au moment de l’explosion. Une trace un peu plus sombre sur le sol brulé. Figés pour l’éternité dans l’horreur absolue de la mort brutale, instantanée.
Souffrance absolue, immobilité parfaite.
N’y aurait-il pas là comme une relation étroite, ou au moins une piste de réflexion, pour comprendre nos propres souffrances ? (Chaque souffrance n’est-elle pas en effet absolue pour qui la subit…)
Car si la souffrance naissait d’une absence de mouvement, est ce que remettre en mouvement ce qui s’est « figé » ne permettrait pas d’échapper à la souffrance ?
On a souvent, à tort, associé l’idée de bien être au « farniente » estival, allongé sur la plage. Or, nous savons bien, tous, que au-delà des clichés d’un repos « bien mérité », c’est allongés, la nuit, dans l’obscurité de notre couche, que nos souffrances sont les plus présentes.
Quand ce n’est pas là, justement, comme profitant de notre sommeil, de notre engourdissement, qu’elles prennent vie, s’installent et progressent…
Et elles prennent vie justement là ou la vie (le Qi…) a déserté, figé dans une absence de mouvement, une absence de libre circulation des fluides en nous, en bref une absence de respiration !
Remettre en mouvement ce qui est immobile.
Refaire circuler ce qui s’est arrêté.
Refaire respirer ce qui s’est figé.
Avec l’assurance que, par delà nos croyances, par delà nos certitudes, qui sont pour l’esprit ce que nos tensions chroniques sont pour le corps, la vie (le Qi…) est là, en nous, est là et nous pousse pour qu’enfin, sans attendre qu’un « guérisseur venu d’ailleurs » nous délivre, ce qui doit arriver enfin survienne :
Que le son de notre cri arrive enfin à nos oreilles !
Ou mieux, pour citer J.Ferrat, puisque c’est aux poètes que dans ce domaine reviennent le dernier mot :
La mer sans arrêt
Roulait ses galets
Les cheveux défaits
Ils se regardaient
Dans l'odeur des pins
Du sable et du thym
Qui baignait la plage
Ils se regardaient
Tous deux sans parler
Comme s'ils buvaient l'eau de leurs visages
Et c'était comme si tout recommençait
La même innocence les faisait trembler
Devant le merveilleux
Le miraculeux
Voyage de l'amour…
http://www.chartsinfrance.net/Jean-Ferrat/id-103152707.html
un bon voyage à nous tous!
Yves Lorand