Médecine chinoise et cancer.

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Médecine chinoise et cancer...

Longtemps considérées comme des thérapies alternatives, l’acupuncture, la phytothérapie, le massage ou le qi gong ont désormais leur place à l’hôpital dans le traitement des cancers. Normal : ces pratiques, issues d’une médecine ancestrales éprouvée, complètent bien l’approche allopathique.

Avant, c’était comme deux mondes qui s’ignoraient. Les patients qui consultaient les médecins traditionnels chinois pour vaincre l’insomnie ou l’asthme n’en parlaient pas forcément à leur généraliste. Les médecins occidentaux, occupés à juguler les maladies avec des prescriptions médicamenteuses, n’entendaient rien à l’approche des énergétiques de leurs homologues asiatiques, qui s’appuient sur des techniques diverses (qi gong et tai-chi-chuan) ou des massages de type shiatsu ou tui na. Désormais, l’heure est à l’alliance officielle. Et ce sont des médecins occidentaux qui font appel à leurs collègues chinois au sein même de la rigoureuse institution hospitalière. Cette reconnaissance, c’est à l’ennemi numéro un de la science que les médecins chinois la doivent : le cancer. D’origine multifactorielle, le plus souvent longtemps invisible, se présentant sous des formes diverses, cette pathologie encore incompréhensible – les cellules cancéreuses ont la particularité de ne pas « mourir » normalement – a amené les grands services hospitaliers occidentaux à un profond sentiment d’impuissance, et ce même si d’immenses progrès permettent de dire aujourd’hui qu’on peut guérir du cancer. Le professeur David Khayat, qui vient de publier « Prévenir le cancer, ça dépend aussi de vous », est l’un des premiers à avoir acté cette alliance, notamment en intégrant très tôt un acupuncteur dans son service d’oncologie de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Désormais, l’acupuncture fait partie -avec les massages et l’homéopathie – des soins de support recommandés et proposés gratuitement aux patients, sans distinction, via la fondation sur préside le professeur2. L’offre en acupuncture existe aussi à Georges-Pompidou, Saint-Louis et Henri-Mondor, à Paris, ainsi qu’au Centre de lutte contre le cancer Gustave-Roussy, à Villejuif (94). Dans le CHU de province, ce sont parfois des structures associatives indépendantes qui interviennent à l’hôpital.

Une vision holistique de la maladie

Acupuncture, qi gong, massage… Quelles qu’en soient les formes, c’est l’approche de la médecine chinoise dans sa globalité qui, peu à peu, s’est imposée aux cancérologues occidentaux. Dazhao Lin, médecin traditionnel exerçant à Rennes, l’affirme : « Aujourd’hui, les collègues généralistes et hospitaliers m’adressent au moins trois ou quatre nouveaux malades par semaine. Les temps changent ! Parmi mes consultations, il y a de plus en plus de personnes qui viennent d’équipes médicales pour interroger la médecine chinoise : cardiologue, chirurgien, dentiste, pharmacien, kinésithérapeute, infirmier… » L’acupuncture a indéniablement été le fer de lance de cette entrée officielle dans le monde allopathe, notamment en prouvant son pouvoir antalgique… chez les soignants eux-mêmes ! En 2010, le tout nouveau Centre intégré de médecine chinoise de la Pitié-Salpêtrière ou CIMC (encadré ci-dessous) a mené une étude sur les effets de l’acupuncture auprès des infirmières souffrant de mal de dos. Elle a confirmé le pouvoir thérapeutique des aiguilles, élaborant ainsi un « formidable argument en faveur de cette pratique traditionnelle à l’hôpital, se félicite encore Alain Baumelon, néphrologue et directeur du CIMC. D’autant plus que les infirmières décidèrent de conforter l’expérience en pratiquant régulièrement le qi gong. »

Si la guérison du cancer n’est à ce jour maîtrisé par aucune médecine, qu’apportent donc ces praticiens traditionnels ?

D’abord, un autre regard sur la maladie. En Chine, le cancer est perçu comme un moment de déséquilibre énergétique. « En général, les cinq mouvements d’énergie qui commandent tous les phénomènes vivants – dont notre organisme – et sont en lutte permanente parviennent toujours à retrouver l’ordre interne, explique Dazhao Lin. Ainsi, le mouvement terre contrôle l’eau, le feu contrôle le métal… » Mais, dans les cas de cancer, le chaos général s’installe. « Le cancer, nous l’appelons « l’énergie révoltée », précise Dazhao Lin. C’est une sorte de mutin qui déclare la guerre dans le navire : les lois normales de contrôle et de production d’énergie ne sont plus respectées. Par exemple, l’eau déborde et attaque la terre censée la contrôler… ». Intervient alors le médecin, vu comme un régulateur qui propose « sa médiation pour rétablir l’ordre. » Pour ce faire, et contrairement à l’approche occidentale, il ne va pas se centrer sur la partie malade – la tumeur, l’organe atteint -, mais sur « l’être qui souffre de cette maladie ». Comme tout organisme vivant, celui-ci est d’abord vu comme un réseau énergétique connecté avec tout ce qui l’entoure. C’est alors, après la prise du « pouls énergétique » du patient, qu’est proposé un « sur-mesure » thérapeutique : « On regarde, par exemple, quelles émotions sont en excès, les habitudes alimentaires inadaptées ou ce qu’induit la saison, poursuit Dazhao Lin. Puis, après la pose des aiguilles et un massage, je peux faire des recommandations du type : »Mangez beaucoup d’ail pendant trois semaines », « Concoctez une recette personnalisée d’herbes séchées », ou prescrire des exercices de qi gong. »

Une diminution des effets secondaires

Pour le professeur Khayat, cette médecine chinoise apporte une aide considérable en termes de qualité de vie aux malades, pendant et après les traitements. « Elle replace l’être humain au centre de la démarche, estime-t-il, lui montrant qu’il est encore, malgré la maladie et les traitements lourds, l’objet d’attentions. » A raison d’une consultation en moyenne toutes les trois semaines, on note, outre la réduction de l’anxiété après le diagnostic, une diminution spectaculaire des effets secondaires de la chimiothérapie ou de la radiothérapie, attribuable au « sur-mesure » concocté par le médecin chinois. Les symptômes sur lesquels la recherche scientifique a démontré une efficacité notable sont, entre autres, la fatigue postchimiothérapie, la sécheresse de la bouche, les bouffées de chaleur, le déficit immunitaires ainsi que les douleurs liées au traitement ou à la maladie elle-même. La chute des cheveux pendant la chimiothérapie s’en trouverait aussi, selon certains patients, amoindrie. Ces bienfaits éprouvés pendant les traitements incitent de nombreux malades à poursuivre ces pratiques, même après que le cancer a été déclaré en rémission : séances d’acupuncture ou de massage aux intersaisons, nutrition adaptée à leurs déficits… « Ces approches, estime David Khayat, ont sans doute un pouvoir préventif de la rechute dans la mesure où elles incitent à être acteur de sa santé. »

Un centre précurseur

Le Centre intégré de médecine chinoise (CIMC) de La Pitié-Salpêtrière, à Paris, a été créé en 2009. Unique en France, il évalue, grâce à des programmes de recherche clinique, les indications thérapeutiques de la médecine chinoise, effectue une veille sur l’ensemble des publications scientifiques, organise des échanges avec les hôpitaux universitaires de Shanghai, Nankin et Canton. Il s’est doté d’un réseau permettant aux patients de recevoir, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’hôpital, des soins en acupuncture, des massages, ou de pratiquer le qi gong. Pour l’heure, une centaine de personnes sont concernées, mais la validation en cours devrait permettre à ces thérapies de devenir accessibles dans tous les hôpitaux de France.

Le regard de Catherine Bitker, médecin, 62 ans

« Si la chimiothérapie m’a guérie, le qi gong m’a redonné la vie » « C’est en me palpant sous le bras il y a douze ans que j’ai senti un ganglion. Médecin, j’ai tout de suite su qu’il fallait faire une biopsie, mais le diagnostic de cancer du sein m’a fait l’effet d’une douche froide : j’avais quatre enfants, une vie très occupée de cadre hospitalier… Ce qui arrivait était inenvisageable. Je savais que les traitements seraient difficiles. Une amie m’a parlé d’une professeure de qi gong qui pourrait venir à mon domicile une heure et demie par semaine pendant la chimiothérapie. De formation scientifique, rationnelle, je ne connaissais rien à cette discipline corporelle, et encore moins à la médecine chinoise. Tout de suite, j’ai aimé l’aspect très pragmatique des cours : aucune distinction entre les niveaux physique et psychique, une grande connaissance de l’anatomie musculo-squelettique… Tenir les postures est un travail aride. Il s’agit de trouver sa verticalité intérieure. Lorsqu’on y parvient, une vraie, grande respiration se déclenche et se diffuse dans tout le corps. Moi qui étais « dans le mental », j’ai appris à avoir des repères corporels. Je sais désormais comment revenir à une vraie présence physique, et c’est un réel soulagement quand les pensées s’emballent. J’ai ainsi très bien supporté tous les traitements. Et si la chimiothérapie m’a guérie, le qi gong m’a redonné la vie. Je me suis ensuite formée à la médecine chinoise. Désormais, j’aide d’autres personnes à se redresser »

Article de Psychologie Magazine– n°348 – février 2015

 

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