Le temps pour les chinois.
Pour les chinois, le temps est plus cyclique que linéaire…
L’occident divise le temps, à l’instar de la vie, en passé, présent et futur, fidèlement déclinés par les catégories grammaticales. Le temps y suit « naturellement » une trajectoire linéaire et nous sommes convaincus que l’existence humaine se déroule sur le mode de l’avancée, dos résolument tourné au passé, regard dirigé vers le futur. Les chinois, quand a eux, dans leur langue quotidienne, ont coutume de considérer que le futur est « au dessous » du locuteur, tandis que le passé est « au dessus ». Le mouvement qui part du passé pour aller vers le futur s’avère donc être, linguistiquement parlant, un mouvement descendant. La langue chinoise ne possède pas de temps : les catégories grammaticales de conjugaison (et même les verbes à proprement parler) lui sont étrangères. De même, les périodes de 60 ans (l’équivalent chinois de notre « siècle ») ne sont jamais dénombrées à la suite les unes des autres comme le sont nos siècles, suggérant ainsi une suite « logique » et linéaire. Elles sont désignées, non pas au moyen de chiffres, mais de caractères d’écriture symboliques. Ainsi, de nombreuses périodes du passé et de l’avenir reçoivent, dans le calendrier traditionnel chinois, la même appellation, un peu comme s’il pouvait y avoir pour nous plusieurs XXème siècles. Dans la tradition chinoise, le temps n’est pas en tant que tel considéré comme un élément constitutif de l’humanité de l’être humain. Les Chinois n’établissent pas nécessairement d’analogie entre le déroulement de notre existence et celle de l’univers tout entier. Le regard occidental a lui tendance à tout englober dans une perspective dite « objective ». Il affecte de considérer que la durée est constamment égale à elle-même, ce qui est contredit non seulement par notre expérience quotidienne, mais aussi par les observations scientifiques. Les Chinois savent fort bien que nous naissons, vivons et mourons, mais ils n’ont pas projeté cette image sur le fonctionnement général du monde. C’est plutôt le retour immuable des saisons dont ils se sont inspirés en la matière. Si bien qu’un passé lointain et exemplaire peut, si les conditions sont à nouveau réunies pour qu’il se reproduise, être raisonnablement érigé en modèle pour l’avenir. Quand à nous, sommes-nous sûrs que la marche vers le futur soit, comme le suggèrent nos propres habitudes linguistiques, celle d’une progression ascendante, d’un progrès ? Et de même, est-il sûr, alors que de très récentes expériences et hypothèses scientifiques remettent en cause non seulement l’irréversibilité du temps cosmologique, mais aussi sa linéarité, que la conception chinoise d’une temporalité cyclique ne mérite pas d’être prise au sérieux ? Est-il sûr, enfin, que les certitudes les mieux ancrées au sein de chaque culture ne reposent pas en grande partie sur les traditions qui lui sont propres, la Chine ni l’occident ne constituant pas des exceptions en la matière ?
(D’après I.P.Kamenarovic)