Je est un autre.

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Je est un autre.

Bon, ben voilà! J'avais l'intention d'écrire un article sur le thème du: "je est un autre", et je suis tombé sur ce texte de Deleuze... Qui m'a scié dans mon élan... L'article est donc reporté! Je reste là...

"Je est un autre, dit Rimbaud". Bon, qu’est-ce qu’il veut dire ? Il le dit à deux endroits, pour ceux qui voudront aller voir le texte. Il le dit dans deux lettres très belles, la même année, le même mois, ce qui permet de soupçonner qu’il écrivait un peu la même lettre à des correspondants différents et ça valait la peine ; il l’écrit à J en Mai 1871 et il l’écrit à Paul Démeny en Mai 71.

"Je est un autre". vous comprenez bien que dire, je suis un autre, est une platitude, je suis toujours autre que je ne suis, pour essayer de dire ce qu’il veut dire, il dit : je est un autre. Formule volontairement incorrecte, alors bien.

Vous me direz, ça suffisait déjà avec Hamlet, pourquoi ? Parce que je lis un texte de Kant. "Je ne peux pas - je le lis lentement - je ne peux pas déterminer mon existence comme celle d’un être actif et spontané. Accordez-moi, pour tous ceux qui connaissent un tout petit peu Kant, un être actif et spontané, c’est le choc. Je ne peux pas déterminer mon existence comme celle d’un être actif et spontané mais je me représente seulement la spontanéité de mon acte de penser.

Je ne peux pas déterminer mon existence comme celle d’un être actif et spontané mais je représente seulement la spontanéité de mon activité de penser, de mon acte de penser. Et mon existence n’est jamais déterminable que d’une manière sensible. Non pas intellectuelle. Et mon existence n’est jamais déterminable que d’une manière sensible. En d’autres termes, je ne peux pas déterminer mon existence comme celle d’un être spontané mais je ne peux pas m’empêcher de me représenter la spontanéité.

Comme quoi ? Cette spontanéité fait que je m’appelle une intelligence. En d’autres termes, je ne peux pas déterminer mon existence comme celle d’un "je" car je suis un "moi" dans le temps mais je me représente nécessairement la spontanéité du "je" comme un autre sur moi en moi. "Moi" ne peut pas déterminer mon existence comme celle d’un "je" mais moi me représente nécessairement le "je" comme un autre. En tant que "je".

Vous voyez, là il me semble que, à la lettre, là je cite dans l’édition courante française des Presses Universitaires, c’est page 136 ce texte de Kant, comme il renvoie à la première édition, dans la note en petits caractères. Je ne vois aucune différence entre ce texte de Kant et la formule même "je est un autre", pourquoi ? Ou plutôt j’en vois une.

Si vous vous reportez au texte de Rimbaud, le texte est splendide, les deux textes sont splendides mais on s’aperçoit de choses très très comiques, c’est que Rimbaud qui quand même avait suivi des classes, avait été au lycée de temps en temps, il n’y allait pas beaucoup mais un petit peu, bah il est aristotélicien. Il est purement aristotélicien. Tout le contexte de ces deux lettres de Rimbaud est un contexte aristotélicien à l’état pur. Car il nous dit, dans un cas, je est un autre.

En effet, si le bois se réveille violon, est-ce sa faute ? Et dans l’autre, il a varié, vous serez sensibles à la variation, il dit :" je est un autre. En effet, si le cuivre s’éveille clairon, est-ce sa faute ? Je vous dit, il est aristotélicien, puisque vous voyez que l’opposition qu’il établit, la distinction plutôt qu’il établit est entre matière et forme. "Je" est un autre parce que "je" est un moule qui organise une matière. Exactement comme la forme violon vient organiser la matière bois, exactement comme la forme clairon vient organiser la matière cuivre. Là je ne force pas le texte en disant, c’est un texte purement aristotélicien. C’est un texte qui développe le thème, un moulage d’un matière. Le "je" est le moulage d’une matière. "Je" est un autre.

Après, je dirais par là, d’une certaine manière, Kant, c’est tout à fait autre chose car, si on lui prête la formule je est un autre, vous sentez peut-être qu’on commence seulement peut-être à sentir ce qu’elle veut dire. Ça veut dire, moi qui suis et qui apparais dans le temps, je ne peux pas déterminer mon existence comme celle d’un "je" mais je dois me représenter le "je" comme un autre et par ce "je" que je me représente comme un autre, je suis ou je me découvre, je m’appelle, une intelligence. L’intelligence, c’est l’autre en moi. seulement, Kant n’est pas du tout aristotélicien car le "je", c’est l’acte de synthèse qui porte sur l’ensemble du contenu possible du temps et des rapports de temps. En d’autres termes, ce n’est plus le moulage d’une matière, c’est modulation infinie des phénomènes, modulation infinie de ce qui apparaît. Çà c’est bien, ce que je viens de dire c’est bien. Non, je suis tellement pas content de tout ça que quand je dis, c’est bien...

Vous voyez, c’est tout à fait différent. C’est un peu comme en musique si on passe des formes cloisonnées, des formes musicales cloisonnées à ce qu’on appelle précisément la modulation infinie, la modulation continue. Euh, surtout l’évolution des musiciens qu’on programme tard parce que je m’écroule à ce moment-là.

Je veux dire, c’est le passage d’une musique aristotélicienne à une musique, euh quoi, qui bien sûr était déjà là dès Bach mais qui éclatera avec le pré-romantisme et le romantisme où s’imposent des genres d’une modulation infinie.

Eh ben, le "je" chez Kant, la synthèse, c’est précisément ce qui va opérer la modulation infinie de tout ce qui apparaît dans le temps. A ce moment-là, moi qui apparais dans le temps, je ne peux pas dire "je" ; en revanche, je peux, je dois me représenter "je" comme un autre qui dit. Qui dit quelque chose en moi.

Et qu’est-ce qui me sépare, encore une fois qu’est-ce qui sépare "moi" de "je" ? Le fil du temps.

Merci Gilles...

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