De la non-violence…
De la non-violence…
Dans le texte de Tchouang Tseu déjà cité (http://ledragonbleu.over-blog.com/2014/08/penser-l-ete.html) , « Le coq de combat », de quoi est-il question ?
Voici en effet une bien étrange manière de dresser un coq de combat ! « Ses qualités sont intégrées. » dit Ki Sing Tseu au roi lorsque le coq est prêt à combattre. Mais de combat il n’y aura pas, puisque : « Les autres coqs n'osent pas s'approcher de lui. Ils se bornent à faire demi-tour et filer. » Notre coq aura gagné sans avoir combattu. Les parieurs risquent cependant d’être mécontents, car s’il ne combat pas, peut-on vraiment dire que notre coq a gagné, quand bien même ce sont ses adversaires qui refusent la confrontation. En fait le roi à toutes les bonnes raisons d’être mécontent de son dresseur de coq. Mais laissons cela, toute histoire a ses limites…
« Ses qualités sont intégrées ».
Comment comprendre cela ? Au début, il est encore vaniteux, il réagit aux sollicitations, son regard exprime la colère… Puis, lorsqu’il est prêt, « on croirait voir un coq en bois ». Au début, il est encore tourné vers l’extérieur, dans le domaine du paraître et de la représentation, montrant à tous ses intentions, ses émotions. Puis, tout est rentré, caché à l’intérieur, inaccessible du dehors, plus rien ne se manifeste. Puisqu’il n’y a plus de manifestations, il n’y a plus de réactions à ces manifestations. Les qualités sont intégrées. Elles ne provoquent plus de chaines d’actions-réactions. Un bouddhiste dirait qu’il ne crée plus de « karma ».
« … il est en paix avec ses semblables, et, bien qu'il soit tout entier le champ de la plus violente bataille, au-dedans du dedans de lui-même règne une paix plus active que toutes les guerres. Et plus règne la paix au- dedans du dedans, dans le silence et la solitude centrale, plus fait rage la guerre contre le tumulte des mensonges et l'innombrable illusion. Dans ce vaste silence bardé de cris de guerre, caché du dehors par le fuyant mirage du temps, l'éternel vainqueur entend les voix d'autres silences. Seul, ayant dissous l'illusion de n'être pas seul, seul, il n'est plus seul à être seul »
Je cite ce court extrait du poème de René Daumal –La guerre sainte- car il fait magnifiquement écho au texte de Tchouang Tseu. Et nous voici donc dans le saint des saints, au cœur des cœurs, là ou règnent le silence assourdissant et la solitude tumultueuse. Comment en est-on arrivé là ?
Arrêtons de lutter !
Travail, politique, sport, santé, tant de choses dans notre vie sont sous le signe de la lutte ! Quoi de plus normal, de plus habituel que de se dire, face a un souci de santé : Je vais me battre, je vais lutter contre ce mal qui m’assaille. Les médicaments deviennent alors nos armes pour lutter contre la maladie. Les médicaments, ou d’autres méthodes thérapeutiques, comme le qigong, pourquoi pas ? Mais lutter contre quoi, lutter avec qui ? Là, on peut dire qu’on a l’embarras du choix : Virus, bactéries, cancer, douleur, trop de sucre, pas assez de… Mais moi, je ne vais pas me laisser faire, je vais me battre ! Mais me battre contre quoi ? Ce virus, ce cancer, ce trop de sucre, n’est-ce pas moi, en moi, à l’intérieur de moi ? Et pourtant je les considère comme des « corps étrangers » à éliminer. Or, tant que je reste dans mon habitude de me penser et de penser le monde qui m’entoure comme un lieu de guerre et non comme un lieu de paix, comme un lieu de désunion et non comme un lieu de réunion, je reste comme « hors de moi », tel le coq de combat fier et arrogant du début de l’histoire.
Qigong, méthode de réintégration.
Il y a quelques décennies, Alain Daniélou publiait « Yoga, méthode de réintégration ». Les modes changent, les méthodes restent… Rien de plus normal, rien de moins contestable que de constater que beaucoup viennent au qigong pour soulager leurs maux, qu’ils soient d’ordre physiques, mentaux, émotionnels… Et ils ont raison ! Penser le qigong comme une arme efficace pour lutter contre ce qui les fait souffrir est juste. Pour un certain temps… Car l’on doit considérer qu’au fil de la pratique, leurs souffrances seront certes peut être toujours là, mais que leur attitude, leur regard à son encontre auront elles assurément profondément changée. Sans doute penseront-ils un peu moins « contre » et un peu plus « avec ». Et qui sait, si, à la fin, comme dans la fable du coq de combat, la maladie, dépitée de ne trouver en face d’elle que du vide, personne à affronter, plus d’écho à sa présence, ne va pas s’en aller, comme elle est venue ! Mais méfions nous ! L’espoir même de guérison porte déjà en lui le germe de notre nature belliqueuse ! Car l’espoir nous projette déjà hors de nous. Alors, pouvons-nous parler de « désespoir joyeux » pour caractériser cet état où « nos qualités seraient intégrées » ?
Faire l’amour, pas la guerre
Nous ne sommes plus dans les années soixante-dix, certes… A l’époque, certains revendiquaient le droit de ne « pas perdre sa vie à vouloir la gagner ». Ils avaient vu dans l’expression « gagner sa vie » l’expression du futur combat à mener que le monde du travail leur proposait comme paradigme. Les idées de non violences fleurissaient comme des fleurs dans les cheveux ou imprimées sur les chemises. Nous ne sommes plus dans les années soixante-dix. Mais si, en pratiquant le qigong, nous intégrons l’idée de ne plus nous faire violence, alors nous aurons fait un grand pas dans notre chemin de guérison. Arrêter de se faire violence, c’est par exemple cesser de faire un mouvement qui nous fait souffrir, ou mieux effectuer le mouvement de manière qu’il ne nous fasse plus souffrir. Mais c’est aussi, à un niveau plus intime, accepter que survienne une émotion, une sensation, aussi étrange soit-elle. Arrêter de se faire violence, c’est commencer de s’aimer soi même. Et c’est aussi cesser de penser pouvoir tout contrôler, laisser faire, abandonner… Et faire confiance ! Le qigong est un art étrange. Derrière des allures anodines, les pratiques, si elles sont bien menées, peuvent amener des changements profonds. Et puisque vous savez maintenant n’avoir plus rien à gagner, j’ose croire que vous accepterez un jour l’idée de n’avoir plus rien à perdre. Alors, bonne pratique!
Yves Lorand