Le vide et le plein
Cà pourrait être comme l’histoire de la poule et l’œuf. En fait il n’en est rien !
Que l’on ne s’y méprenne pas. Ce n’est pas non plus : « Un Yin, un Yang, voilà le Tao ». Non. Car parler du vide et du plein suppose au préalable que l’on s’entende bien sur l’endroit « où l’on se situe » ! Avant, c’est avant. Après c’est après (et pendant c’est ..?). Car au départ, il y a rien. Là dessus tout le monde est plus ou moins d’accord. Avant le « big bang », il n’y a rien. Le chaos, la soupe cosmique, autrement-dit rien. C’est la zone, pas un troquet, comme disait dans une chanson notre Renaud national. Bref ; c’est vide. Un super vide, puisque ce vide n’imagine même pas que le plein existe. Normal, c’est avant la grande séparation entre le yin et le yang. Autrement dit, quand c’est vide, c’est vide. Point. Il n’y a pas de place pour le plein, pas de place pour rien d’ailleurs. Oui, mais comme disait un de notre autre héros national, monsieur Devos, moins que rien, c’est déjà quelque chose ! Quand à deux fois rien, c’est déjà mieux que rien.. !
Bon, reconnaissons-le, le rien nous fait peur. Quelquefois, un rien aussi nous fait peur. Mais admettons que l’on ait franchi cette étape. Plus rien ne nous fait peur donc, sauf le rien. En même temps, comment peut-on avoir peur du rien ? C’est étrange. C’est comme si ce rien qui n’est absolument rien, nous l’avions rempli de toutes nos attentes, nos désirs, et de nos craintes aussi, car cela ne va pas l’un sans l’autre. Nous l’avons tout simplement rempli de nous-mêmes. En fait, nous avons peur de nos propres craintes.
Ce n’est pas de la philosophie. Ce n’est donc pas forcément un sujet de débat. C’est plutôt une manière de voir les choses… Les chinois taoïstes l’exprimeront de cette façon : (ils adorent les chiffres…)
Au 0 (zéro) correspond l’indifférencié.
Au 1 (un) correspond le manifesté.
Au 2 (deux) correspond la première division.
Aux 10 000 êtres correspondent tout ce qui existe (la multiplicité)
Par sa nature, le niveau zéro nous est inaccessible.
Selon les pratiques, nous pouvons être amenés à nous situer entre le 1, le 2 et les 10 000 êtres.
Dans le Zhi Neng Qigong, nous allons nous placer de préférence entre le 1 et le 2. Entre le manifesté et le divisé. Tout le monde a vu un arc en ciel, et sait que la lumière solaire, diffractée par les petites gouttes d’eau suspendues dans l’atmosphère, nous montre tous ses aspects colorés dans le phénomène. Nous pratiquons le Zhi Neng Qigong juste avant que naisse l’arc en ciel. C’est ce que l’on appelle l’énergie du Hun Yuan. Hunyuan Qi, c’est l’énergie originelle, l’énergie avant la séparation en deux complémentaires qui vont bien entendu générer du mouvement, donc des sensations, donc des êtres doués de sensations, et donc la multiplicité. Et Hunyuan Qi, c'est vide!
Si, en parlant du vide nous en sommes venu à évoquer le rien, en faisant un saut du qualitatif au quantitatif, nous ne nous sommes pas écarté, pour autant, de notre sujet… Ce détour est nécessaire pour rentrer vraiment, justement, dans le « vif » du sujet ! Je prendrais comme exemple une situation simple : Le fameux bilan de santé ! Si l’on s’en sort avec un : « Tout est normal, vous n’avez rien, tout va bien », soulagement et le « ouf ! » qui va avec… Oui, mais soulagé de n’avoir rien n’est pas l’équivalent de soulagé de n’être rien. Qui peut avoir envie de n’être rien ? Bien peu d’entre nous ! Car que manifestons-nous derrière notre contentement de « n’avoir rien » ? Le réconfort d’avoir résisté à tout ce qui nous menace ou la certitude que n’étant rien, rien ne peut donc nous arriver. La première option est généralement celle que nous expérimentons… Et cela n’est pas anodin dans la manière dont nous allons envisager nos pratiques… Est-ce que je vais continuer à me remplir de « bonne énergie » pour me protéger des « mauvaises énergies » ou est ce que je vais enfin pouvoir envisager le relâchement comme seule voie de transformation. Car, toujours dans notre exemple, certes, la première façon de voir nous met à l’abri de tout, nous ne risquons plus rien. C’est le château fort, la citadelle assiégée. Nous sommes tranquilles car à l’abri. Rien ne peut nous arriver. Ce n’est plus la peur du rien qui nous a fait fermer, mais le désir de ne rien avoir ! Jusqu’où se cache la perversité du désir! N’avoir rien, je gagne. N’être rien, je perds ?
Quand nous pratiquons le qigong, comment allons-nous percevoir ces notions de vide-plein et de rien-beaucoup ? Dans notre rapport avec l’énergie ! Et ce sera souvent en termes de plein et de beaucoup. Pensons déjà à l’expression : « avoir plein d’énergie », ou dans un cours quand on entend « l’énergie autour de vous est très épaisse, il y a plein d’énergie… ». L’on voudrait bien entendu non seulement avoir plein d’énergie mais encore mieux « déborder d’énergie ! ». Comme quand une baignoire trop remplie déborde. Rempli d’énergie au point que çà déborde !
Après, dans un autre registre on entend aussi souvent les termes de « ballon d’énergie », « ramener l’énergie au dantian », ou « émettre l’énergie par les laogongs », et l’énumération pourrait continuer…
Derrière tout ceci, on le voit bien, traine toujours cette idée d’une « substance » énergie, de « quelque chose » de sympa, d’utile, de bon pour la santé, qu’il serait bon d’apprivoiser en pratiquant le qigong, par exemple. Car derrière cette façon de voir traine souvent l'idée que:"plus j'ai d'énergie, mieux c'est".
Or, que disent tous les maîtres chinois ? « Là ou j’envoie mon esprit, l’énergie arrive » ou bien « l’énergie suit l’esprit », ce qui veut à peu près dire la même chose. Nul besoin de penser en termes d’énergie. Placez votre esprit à un endroit de votre corps, et l’énergie arrivera automatiquement, sans qu’il soit vous soit nécessaire de l’aider pour ce faire.
Voici ce qu’en dit T.Lambert en 2011 :
Pour les taoïstes, le Vide est avant le Ciel/Terre. Deux termes désignent cette notion : wu et xu. Wu se traduit par non avoir ou rien, et xu par vide. Lao zi (chap. XL) «L’Avoir produit les Dix mille êtres mais l’Avoir est produit par le Rien »(wu). Zhuang zi (chap. Ciel-Terre) : « Qui atteint à sa vertu première s’identifie avec l’origine de l’Univers, et par elle au Vide »(xu) Le non-avoir, le rien (wu) est à l’origine de toutes choses, tandis que le xu (vide) est au cœur de toutes les manifestations. Mais qu’entend-on par vide ? Sur ce point écoutons Zhang Zai (1020-1077) : « le vide n’est pas vraiment une vacuité absolue, il est simplement le Qi dans son état de dispersion, où il n’est plus visible » Le vide n’est pas néant, il recèle en son sein la vie elle même dont la manifestation n’est ni visible, ni palpable. Sur ce point, cela rejoint l’image contenue dans l’idéogramme xu.
Voici ce qu’en dit également Claude Larre (« commentaire du Dao De Jing »)
« Le Vide taoïste n’est pas rien, il est tantôt le contenant et tantôt le dynamisme de ce qui passe ; Il est même plus permanent, plus substantiel que ce nous croyons voir, entendre et toucher. »
Pour revenir au concret de la pratique du Qigong, je prendrais comme image un enfant qui jouerait à la guerre avec des soldats en plastique et un vrai général d’armée qui dirigerait ses troupes à distance depuis son poste de commandement. L’un, l’enfant manipule et joue de son imagination. L’adulte, lui, dirige. Qu’en est-il pour un mouvement comme « ouvrir-fermer » ou « tirer-pousser » ?
Bien souvent, et avec beaucoup de bonne volonté, nous pensons que : « avec notre esprit nous agissons sur nos bras et nos épaules pour manipuler l’énergie, que d’ailleurs, après quelque temps de pratique, nous commençons à percevoir… » Pratiquer le qigong revient donc dans ce cas à pouvoir agir sur l’énergie, par l’activité de l’esprit, de la respiration et des mouvements du corps. Agir sur l’énergie et donc en ressentir l’existence, l’utiliser pour se soigner ou soigner autrui, en jouer et parfois s’en réjouir…
Pourtant, si nous repensions à ce que nous disent les maîtres chinois, « l’esprit dirige le Qi », et que nous l’appliquions à la lettre, notre pratique ressemblerait à ceci : L’esprit est calme, tout le corps est détendu ; la respiration lente, profonde, régulière ; Libre de pensée, libre de volonté, l’esprit se repose. Puis, venue de nulle part, arrive une intention : « ouvrir » ou « fermer »…
Juste une intention ! Pas une action, une intention ! Et puis sitôt lancée, sitôt relâchée. Je laisse faire. L’esprit dirige, l’énergie suit, et… le corps danse. Pas d’action, pas de manipulation de « balles » d’énergie, même plus de « sensations énergétiques » , juste être là sans être vraiment là, être un peu en dehors, un peu au dessus.
Agir sans agir, çà ne vous rappelle rien ?
Bienvenue dans le monde de l’énergie vide !
Un bel été à vous.
Yves Lorand