Les neurones miroirs
Les neurones miroirs
La scène se passe en 1995, dans le laboratoire du professeur Giacomo Rizzolatti, chercheur et enseignant en physiologie à l'université de Parme, en Italie.
Le savant et son équipe étudient un singe, dont ils ont couvert le crâne de capteurs reliés à un puissant scanner, comme ils le feraient avec un humain. Vient l'heure de la pause. Sans quitter le labo, les chercheurs découpent une pizza et se servent. Dring ! Le scanner du singe se met à sonner. L'animal semble pourtant impassible sur son siège. Mais il regarde attentivement les humains manger et, chaque fois que l'un d'eux tend la main vers un nouveau morceau de pizza, il fait sonner le scanner. Les chercheurs, intrigués, s'approchent de leurs écrans... Et c'est ainsi que commence une formidable nouvelle étape de l'exploration scientifique : la découverte des neurones miroirs.
En 1996, ils ont pu annoncer la découverte de cet étonnant processus mimétique, qui nous concerne tous, autant que les singes : chaque fois que nous voyons une autre personne agir, surtout si elle nous paraît semblable à nous, des neurones miroirs « s'allument » dans notre cerveau de la même façon qu'ils le font dans le sien. Fait capital : c'est apparemment grâce aux neurones miroirs que notre appareil neuronal s'est structuré, pendant les deux ou trois années qui ont suivi notre naissance, par mimétisme de nos parents ou des personnes s'occupant de nous. Le neurone-miroir serait donc littéralement à la base de l'empathie. . Si je baille, il est très probable que vos neurones miroir vont vous faire bailler - parce que ça n'entraîne aucune conséquence - et que vous allez rire avec moi si je ris, parce que l'empathie va vous y pousser. Cette disposition du cerveau à imiter ce qu'il voit faire explique ainsi l'apprentissage. Mais aussi... la rivalité. Car si ce qu'il voit faire consiste à s'approprier un objet, il souhaite immédiatement faire la même chose, et donc, il devient rival de celui qui s'est approprié l'objet avant lui !
Neurones miroirs, désir mimétique, pression du groupe... Tout ceci nous amène à une question éternelle, mais cruciale : qu'en est-il de la liberté humaine, si tous nos désirs ne sont qu'imitation ? La réponse est simple : la liberté n'est pas un cadeau que l'homme recevrait, au départ, entier et terminé. Ce que l'on reçoit, c'est la capacité de se libérer progressivement. Non pas tant du désir mimétique lui-même, d'ailleurs, que de la rivalité à laquelle il pousse. Un homme peut très bien revenir à ce stade d'apprentissage qu'il a connu dans l'enfance, quand on lui montrait et qu'il imitait, tout en gardant paisiblement le modèle comme modèle, et se libérer de ce carcan de rivalité qui l'enferme dans la jalousie, l'envie, la violence... La sagesse consiste simplement à finir par apprendre à désirer ce que l'on a, et non pas systématiquement ce que l'on n'a pas. À partir du moment où l'on y parvient, on est non seulement dans la sagesse, mais également libéré. Libre de creuser ce que l'on a.
J'ai une conscience. Je peux explorer cette conscience pendant des années, jusqu'à la rendre suraigüe, éveillée. Et capable d'une certaine distance vis à vis des désirs et des comportements que mes neurones miroirs me poussent à imiter.
(D’après un entretien avec le professeur Oughourlian paru dans « nouvelles clès »)