Chong Mai, le méridien d’assaut. 2
Une sorte de paradoxe s’attache à Chong Mai. Son rôle dans le fonctionnement de l’être vivant est considérable puisqu’on le surnomme : « mer de l’énergie et du sang, mer des 5 organes et des 6 entrailles, mer des 12 méridiens… », mais on n’en trouve aucune description systématique dans le Nei Jing…
La longueur et la complexité de son trajet sont exceptionnelles, puisqu’il aborde toutes les parties de l’organisme, mais de nombreux ouvrages le représentent de façon extrêmement réduite…
Il y a une explication à tout cela. Le classique de l’interne ne fut pas rédigé en un jour ni par un seul auteur. Le résultat est que les données classiques que nous possédons sur Chong Mai sont disséminées dans le Nei Jing et que le seul moyen de s’en faire une idée vraiment complète est de rassembler et de relier les uns aux autres ces différents morceaux et de les confronter aux données de l’expérience.
Origine et trajet du Chong Mai
Il est dit que: « Chong Mai et Ren Mai débutent dans la matrice (Chapitre 65 du Ling Shu). Mais que signifie ce mot « matrice (bao) » ? La première signification est anatomique : pour les femmes c’est l’utérus, pour les hommes, c’est Zi Gong, le palais de l’enfant, là ou est contenue l’essence séminale. La seconde signification recouvre une zone plus large, correspondante à la région de l’hypogastre. Une autre description de l’origine de Chong Mai (Chapitre 60 du Su Wen) mentionne le point 30 Estomac (Qi Jie ou Qi Chong) dont le nom évoque le caractère impétueux des énergies concentrées au bas ventre qui de là s’élancent vers le haut.
Mais il s’agit plutôt ici de l’origine de la branche externe du méridien. Depuis Qi Jie, Chong Mai suivrait, selon les sources, soit le méridien Rein (Shao Yin), soit le méridien Estomac (Yang Ming). Loin d’être contradictoires, ces différents trajets sont plutôt l’expression des relations étroites existantes entre ces méridiens.
Arrivé au niveau de la poitrine, « le méridien d’assaut » se disperse. Cela ne signifie pas qu’il s’ éparpille, mais ceci indique plutôt qu’à cet endroit Chong Mai conduit en profondeur – aux 5 organes et 6 viscères- l’énergie ancestrale venue de « la matrice » et tout le potentiel d’énergie et de sang venue des 12 méridiens. Il reçoit en échange l’Energie Essentielle (Qing Qi) venue des viscères. C’est ici que les expressions « mer des 12 méridiens, mer des 5 organes et 6 entrailles » trouvent leur entière signification.
Enfin, cette branche externe arrive à la gorge où elle rejoint la branche profonde pour se ramifier aux organes des sens et du cerveau, ainsi que vers le pourtour de la bouche.
Branche interne et descendante.
La branche interne, ou « profonde », part de la matrice, la contourne en arrière puis chemine sous la paroi de l’abdomen avant de se diriger vers l’intérieur de la colonne vertébrale ou elle rejoint le vaisseau gouverneur. Elle forme alors « la mer des Jing Luo ». C’est à cet endroit qu’apparait par ailleurs le caractère véritablement « axial » de Chong Mai qui possède à la fois la nature d’un méridien Yang (Du Mai) et d’un méridien Yin (Ren Mai). D’où son appellation de méridien central (Zhong Mai) dans les milieux proches du taoisme. Parvenue au niveau de la première vertèbre cervicale, cette branche interne rejoint le cerveau, tout en émettant un rameau au niveau de la gorge vers la partie superficielle du méridien.
La branche descendante est également décrite dans le Ling Shu comme suit : « Avec le grand Luo du Shao Yin, elle sort à Qi Jie, suit la partie médiale de la cuisse, oblique vers le creux poplité, suit la face interne du tibia et avec le méridien des reins pénètre en arrière de la malléole interne, puis gagne la plante du pied … »
Ainsi Chong Mai, le méridien d’assaut, présente une très large répartition dans le corps. En profondeur il diffuse dans les moindres interstices et en surface il touche à tout le revêtement cutané.
L’art de longue vie.
Chong Mai est donc aussi Zhong Mai, le méridien central.
Historiquement, à partir de la fin du 14 eme siècle, les pratiques taoïstes privilégièrent l’ouverture des méridiens gouverneur et concepteur, par la pratique de la « petite circulation céleste ». Mais il existe une autre école, attachée surtout à l’ouverture du méridien central. Elle s’est développée au sein du taoïsme dit « de la voie jaune ». Située entre « la voie rouge » du vaisseau conception (Du Mai) et « la voie noire » du vaisseau gouverneur (Ren Mai), elle se réfère à la couleur jaune du centre, du trigramme Kun de la terre. Une fois « débloqué » Chong Mai se dilate de tous cotés et entraine « l’ouverture » de l’ensemble du composé humain. Par ses deux extrémités Yang du ciel et Yin de la terre, l’homme se trouve ainsi en harmonie. La « voie jaune » dont il est fait ici mention consiste donc à ordonner d’abord l’axe central des courants vitaux ainsi que réaliser pleinement la liberté qui en résulte dans tous les plans de l'être.
Wei BoYang , l’auteur du Can Tong Qi compare cette expérience à : « une rosée printanière, à l’eau d’un glaçon se liquéfiant, qui va s’écoulant, de la tête aux pieds, et finalement remonte, en des allées et venues sans fin… », entre Ni Wan , « la boulette de boue » située dans la tête au champ de cinabre supérieur et Yong Quan « source bouillonnante », le point situé sous la voûte plantaire.
Zhang ZiYang, l’auteur du Wu Zheng Pian cite le méridien Yin Qiao par son point focal, également appelé « passe coccygienne » (Weilü Xue) et sa grande proximité avec le point Hui Yin. Pour « ouvrir » les 8 méridiens curieux, il suffirait d’ouvrir cette zone, qui est aussi le centre de Chong Mai. Dès que cette zone se libère, Yin et Yang communiquent, Ren, Chong et Du Mai s’ouvrent et se perméabilisent, tous les méridiens se déploient, en haut à Ni Wan et en bas à Yong Quan.
La culture de Chong Mai et l’entrainement sur Hui Yin ne sont cependant pas une fin en soi. Car si les questions de physiologie énergétique ainsi que les effets bénéfiques sur la santé sont des buts estimables, ils sont cependant subordonnés à une réalisation plus haute : celle qui conduit au centre de l’anneau, à ce « pivot de la norme » dont parle Zhuang Zi, dont on peut dire qu’il ne connait « ni vicissitude, ni l’ombre d’un changement »
(D’après J.C.Dubois)